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lui-même se désinfectait avec soin en rentrant de ses tournées. Puis les villages en aval des travaux de
captation se crurent contaminés eux aussi. Atteint de panique, leur population se replia sur la ville. On la vit
passer avec ses chars, ses troupeaux, ses meubles, comme une émigration devant la guerre. Il y eut des
bagarres, parce qu'on voulait l'expulser. Et brusquement l'épidémie, jusqu'alors circonscrite et dont on avait
fort exagéré les ravages, soit par suite de l'agglomération et du manque d'hygiène, soit parce que l'air était
réellement vicié, prit des proportions inquiétantes. L'effroi public devint lui-même un danger. On annonça la
peste et la famine. L'abbé Heurtevent, qui, tout en se dévouant, puisait dans cette atmosphère de catastrophe
une sorte de réconfort à cause de la réalisation de ses prophéties et qui ne pouvait s'empêcher de reconnaître
les signes de l'intervention divine, fut accusé formellement de sorcellerie et dut se terrer dans sa chambre
pendant quelques jours, sous menace d'un mauvais coup. Mlle Tapinois avait donné le signal du départ,
abandonnant son ouvroir, que ma mère reprit sans rien dire. Les hôtels se vidaient, et les habitants qui
LIVRE IV 128
La Maison
pouvaient fuir s'enfuyaient.
Le manque d'organisation venait augmenter le fléau. La municipalité avait démissionné, et le préfet prenait les
eaux en Allemagne. D'urgence on convoqua les électeurs. Ce fut une ruée vers mon père. Tous les jours on
criait devant la grille: Vive Rambert! ou: C'est Rambert qu'il nous faut! et tante Dine ne se rassasiait jamais de
ce refrain qui enchantait ses oreilles. Lui seul, il n'y avait que lui.
Je n'ai pas vu, et je ne puis décrire la ville désespérée, aux boutiques fermées de peur du pillage, déchirée par
les partis, hantée de tous les soupçons, travaillée par la haine et la misère, et livrée à l'épouvante. Mais je l'ai
vue de mes yeux, à nos pieds, là, sous nos fenêtres, supplier un homme, se soumettre à lui, s'asservir à celui
dont, auparavant, elle n'avait pas voulu. Elle se traînait, elle gémissait, elle poussait des cris d'amour comme
une chienne en folie. Et, ne comprenant pas sa détresse, je la méprisais.
Mon père avait perdu sur moi son autorité, non pour en avoir abusé, malgré ses apparences où j'imaginais de
la tyrannie, mais peut-être, qui sait? pour n'en avoir pas usé, au contraire, le soir où il me ramena du Café des
Navigateurs, le jour où, dans la chambre de la tour, pour défendre grand-père contre lui, je le bravai. Il ne
pouvait se douter ni de mon premier amour qui m'avait compliqué le coeur, ni de la profondeur des mes
aspirations vers la liberté lentement infiltrées par tant de promenades et de causeries. Cependant il avait
pressenti mon détachement de la maison et pour me ramener il avait compté sur sa clémence. Or cette
clémence le réduisait à mes yeux. Son prestige était fait de ses continuelles victoires, et chez ma mère ne
l'avais-je pas entendu se plaindre comme un vaincu? J'avais mesuré à sa tristesse mon importance. Plus il
attachait de prix à me reconquérir, plus je me sentais fort pour lui résister. Et, peut-être, sans cet excès de
préoccupation paternelle, eût-il conservé plus d'empire. Serait-il dangereux pour un souverain de prétendre
trop à dresser et préparer son héritier, et faut-il croire à la vertu des affirmations et des actes plus qu'à
l'influence qu'on cherche à exercer sur les esprits? Une génération diffère de la précédente dans l'expression
des idées, sinon dans les idées mêmes. Elle tient à croire tout recréer: la vie lui apprendra que rien ne se crée
et que tout continue par les mêmes procédés.
Cette autorité, à quoi je me dérobais, voici que dans le danger elle s'imposait à tous. Mon père dirigeait les
services médicaux. Elu à la presque unanimité, on lui confia la ville.
II. L'ALPETTE
Mon père et ma mère tinrent un conseil de guerre d'où sortit la résolution de nous renvoyer. Nous possédions,
sur les pentes de l'une des hautes vallées, un chalet qu'on appelait l'Alpette, isolé dans une clairière au milieu
des sapins. Quand la saison s'y prêtait, nous y passions un mois pendant la période des vacances. Une patache
irrégulière montait en quatre ou cinq heures au village voisin. Le ravitaillement n'y était pas très commode et
il fallait s'y contenter d'un ordinaire frugal et modeste. Mais on y respirait un air balsamique. Là, nous serions
à l'abri de la contagion.
 L'épidémie se propage, nous expliqua mon père. Vous partirez tous demain matin, sauf votre mère qui ne
veut pas me quitter.
Peut-être avait-il résolu de rester seul: il s'était heurté à ce refus.
 C'est une excellente idée, approuva grand-père. Ici nous ne sommes bons à rien du tout. Nous sommes
plutôt une gêne.
 Oh! moi, d'abord, déclara tante Dine en secouant la tête, je ne m'en vais pas. Je fais partie de l'immeuble.
II. L'ALPETTE 129
La Maison
Mon père lui objecta qu'elle aurait son frère à soigner; l'argument fut accueilli assez mal:
 Il se soignera bien tout seul. Il se porte comme un charme. Et d'ailleurs Louise veillera sur lui.
Louise protesta de son désir de rester. On crut qu'elle plaisantait, car elle avait dit la chose en riant, mais elle
insista bel et bien. Ne pouvait-elle rendre des services, visiter les malades, les garder même? N'avait-on pas
besoin de toutes les bonnes volontés? Il y eut entre elle et tante Dine un débat dont la générosité ne m'apparut
point sur le moment. Tante Dine gongonna tant et si fort, qu'elle obtint gain de cause.
Entraîné par l'exemple, je signifiai à mes parents mon intention formelle de ne pas quitter la ville et d'y jouer
aussi mon rôle. Ce fut pour affirmer ma personnalité,  ma personnalité de dix-huit ans à peine,  bien plutôt
que par bravade de courage. L'idée de la mort ne m'effleurait pas, ni pour moi, ni pour personne. Je
n'apercevais aucunement le danger. Sans doute mon père se trouvait le plus exposé par sa profession et par ses
fonctions, mais il me paraissait immortel. Je pensais seulement à me donner de l'importance.
Mon père m'écouta patiemment, puis il me répondit que si j'avais commencé mes études médicales, comme il
l'avait espéré, il n'hésiterait pas, malgré son affection et ses craintes, à m'utiliser,  ce serait un droit que je
pourrais revendiquer;  mais que, m'étant orienté dans une autre voie, je n'avais aucune raison sérieuse de
demeurer dans une atmosphère viciée, sans servir à rien, au risque de prendre le mal un jour ou l'autre. Il me
remerciait de mon offre et ne l'acceptait pas. La montagne, au contraire, serait favorable à ma santé qui s'y
raffermirait: j'étais un peu délicat, j'en reviendrais plus vigoureux. Ce calme rejet eut le don de m'exaspérer.
J'y découvrais un insupportable mépris, et je m'obstinai à réclamer un poste comme si mon honneur était
engagé:
 Je regrette infiniment, père, de ne pas m'incliner dans cette circonstance; mais j'estime que je dois rester, et
je resterai.
Ces paroles me grandissaient. Il me fixa de ses yeux perçants et ne haussa même pas la voix: [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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